L’art numérique vidéo au féminin

ART VIDÉO

L’instantanéité et la spontanéité propres à l’image vidéo lui vaut de devenir l’outil idéal des militants politiques à la fin des années 50. Une décennie plus tard, le pionnier de l’art vidéo Nam June Paik, s’approprie la télévision dont il détourne sa fonction première, le défilement des images, afin d’y apporter un regard plasticien. Il exploite alors les capacités de l’image vidéo pour l’utiliser comme matériau, il la déforme et joue avec, dès lors qu’il prend conscience qu’elle peut être remaniée à l’infini. De nombreux artistes poursuivent cette réflexion sur les possibilités de distorsion de l’image vidéo, ce qui mène souvent à la réalisation de sons et d’images conceptuels. 

Dans les années 70, certains commencent à questionner la place du spectateur et son rôle de regardeur dans l’art vidéo. Les créations visuelles s’inscrivent alors dans des installations qui dépassent la simple vidéo, et où le spectateur devient partie intégrante d’une oeuvre interactive.

Plus tard, la mise au point de la VHS rend la production de vidéos plus accessible et permet une meilleure qualité d’image. De plus, les possibilités de traitement électronique des images enregistrées connaissent de réels progrès. C’est ainsi que des artistes, tels que Bill Viola, mettent l’art vidéo au service d’installations monumentales qui repensent l’espace d’exposition. Viola sera aussi un précurseur en terme d’exploration des capacités de trucage des bandes magnétiques. 

L’art étant indissociable des progrès techniques et informatiques, la seconde moitié des années 90 voit apparaître son lot de sites d’artistes vidéastes sur Internet, qui se transforme alors en support d’oeuvres préexistantes. Puis Internet devient un médium de création à part entière, et le langage numérique est alors utilisé en tant que matériau. Les oeuvres créées le sont grâce à l’utilisation de logiciels ou encore d’algorithmes de créations visuelles, et intègrent les changements induits par le passage à l’ère électronique : la dématérialisation des supports et des sources, l’immédiateté et la virtualité, mais aussi l’apparition de nouvelles images (de synthèse) et de nouvelles formes de diffusion (le net art par exemple, n’existe que par et sur internet). On peut donc considérer l’art vidéo comme l’ancêtre de l’art numérique dans l’idée de détournements de fonctions initiales d’un objet (télévision, ordinateur), et c’est ainsi que les manifestations artistiques s’enrichissent de ces nouvelles pratiques.

FUJI, Joanie Lemercier (2014)

Aujourd’hui, la hiérarchisation entre art majeur et art mineur est totalement caduque, mais à ses débuts, l’art vidéo était considéré comme un art mineur. Et l’histoire de l’art a montré plus d’une fois que les femmes se distinguent dans des pratiques marginales qui n’ont pas d’héritage masculin. C’est sans doute pour cette raison que nombreuses sont les artistes féminines qui se sont servies de la vidéo pour mener des réflexions féministes, autour du corps de la femme ou encore sur les notions de représentation. 

C’est dans cette tradition que s’inscrit Morehshin Allahyari, jeune artiste multimédia iranienne vivant à Brooklyn. Elle mène un travail sur la situation politique et socioculturelle de son pays d’origine, mais questionne les notions de genre et de féminité. Elle participe d’ailleurs à l’exposition Computer grrrls à la Gaîté Lyrique en mars 2019, réunissant 23 artistes féminines et internationales qui livrent un regard sur l’histoire des femmes et des technologies numériques. 

« Nous devons nous engager dans une fiction dystopique qui extrapole de l’hétéropatriarchie blanche, valide, coloniale, qui structure notre monde. »

En 2016, elle débute une recherche autour de la figure du djinn, sorte de créature surnaturelle féminine ou queer issue de mythes d’origine moyen-orientale. Elle puise son inspiration dans les contes que sa grand-mère iranienne lui racontait à propos de ces figures monstrueuses, qui pourtant avaient d’abord été valorisées pour leur force. L’artiste, militante féministe, tente donc de leur redonner leurs lettres de noblesse.

She Who Sees the Unknown : Huma est un extrait d’une minute 46 d’une vidéo réalisée en 2017. Pour la réaliser, Morehshin Allahyari s’adonne à la numérisation, à la modélisation et à l’impression 3D pour créer une sculpture en trois dimensions de Huma, un djinn connu dans divers contes orientaux, qui a pour rôle « d’apporter la chaleur au corps humain et est responsable de la fièvre commune ». Elle reprend ainsi cette figure pour dénoncer le réchauffement climatique, dans une vidéo qu’elle projettera auprès des véritables statues lors d’une exposition.

Dans l’extrait en question, on aperçoit Huma, le djinn à trois têtes, placé au centre du champ, sur un fond noir. Dans le même temps, le spectateur peut entendre la voix de l’artiste iranienne (le texte est en anglais, mais des sous-titres sont disponibles en haut à gauche du champ) décrire la créature. Chaque élément décrit apparaît alors subtilement à l’écran, avec un jeu sur le clair-obscur. D’abord les trois têtes félines, suivies d’un cut… Puis les bras, cut… Et les jambes, dans un plan à nouveau suivi d’un cut, etc. Par la suite, la luminosité augmente peu à peu sur ce qui semble être la sculpture toute entière, avant qu’elle ne disparaisse soudainement, laissant ainsi le spectateur face à un écran complètement noir durant trois rapides secondes. Après cela, la vidéo se poursuit sur la description des trois talismans de la créature, ainsi que sur son rôle dans le monde, toujours avec un jeu sur la luminosité. Mais cette fois, la vidéaste contrefait un éclairage dysfonctionnel, qu’elle renforce par l’usage de grésillements sonores, afin de continuer à dévoiler partiellement Huma

La vidéo s’achève alors brutalement. En effet, pour les plus curieux qui souhaitent la voir dans son intégralité, il faut contacter l’artiste qui vous la fera parvenir.

Ressources :

BOULON-FAHMY, Annie. Du féminin dans l’art ou l’art a-t-il un genre ? Les arts plastiques au féminin In : Genre & Éducation : Former, se former, être formée au féminin [en ligne]. Mont-Saint-Aignan : Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2009 URL : http://books.openedition.org/purh/1740

Galeries Nationales du Grand Palais, Artistes et Robots, catalogue d’exposition, Paris Rmn-GP, 2018

KRAUSS Rosalind, LAGEIRA Jacinto, RAMADE Bénédicte. VIDÉO ART, Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 23 mars 2020. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/art-video/

MOISDON Stéphanie. Qu’est ce que l’art vidéo aujourd’hui ?, Beaux Arts éditions, Août 2008MOREHSHIN Allahyari, She Who Sees the Unknown, [en ligne], consulté le 2 avril 2020. URL : http://shewhoseestheunknown.com/

Clit Révolution : l’empowerment féminin en marche

WEBDOCUMENTAIRE

Elvire Duvelle-Charles (réalisatrice) et Sarah Constantin (journaliste), activistes et anciennes membres des Femen, sont à l’origine du projet Clit Revolution. D’abord présentes sur le réseau social Instagram (leur compte totalise désormais près de 100 000 abonnés), elles se font ensuite connaître du grand public après avoir réalisé une parodie du clip Saint Valentin du rappeur Orelsan. Issues de la nouvelle génération de féministes, elles souhaitent libérer la parole et ne sont pas effrayées à l’idée de parler de sexualité dans l’espace public. 

Il y a un an, le Clit Revolution évolue et prend la forme d’une websérie documentaire de neuf épisodes diffusés un jeudi sur deux sur la plateforme Francetv slash (le média numérique 100% gratuit de service public). On suit les deux militantes tout au long d’un roadtrip à travers le monde (France, EU, Kenya, Japon…) durant lequel elles rencontrent des femmes d’horizons différents et échangent à propos de problématiques féminines. Dans le même temps, Sarah et Elvire en profitent pour aller à la rencontre des personnes qui suivent leur travail sur les réseaux sociaux. 

Préliminaires : dessine-moi un clit est le premier épisode de la websérie. Il est diffusé le 07 mars 2019 et a déjà été vu plus de 100 000 fois sur Youtube. Durant une dizaine de minutes, les deux jeunes femmes mettent en lumière la méconnaissance qui entoure le clitoris ; et tentent, au gré de leurs rencontres, de comprendre d’où viennent les tabous et les mythes qui entourent le sexe féminin. Bien que la vidéo possède une dimension pédagogique et éducative, celle ci est déconseillée au moins de 12 ans. 

La websérie s’ouvre sur le logo de Francetv Slash, avant que Sarah Constantin n’apparaisse dans son lit, face caméra en gros plan sur son visage, pour présenter les enjeux de ce premier épisode. Elle est suivie d’Elvire Duvelle-Charles, puis on la retrouve de nouveau à l’écran en train de se brosser les dents. Les deux femmes ne se trouvent pas au même endroit, mais leurs propos se font écho et la qualité de l’image laisse supposer qu’elles se sont probablement filmées seules, en mode selfie, avec ce qui semble être un téléphone. 

Pour entrer dans le vif du sujet, la journaliste filme sa mère en plan rapproché poitrine et lui fait une demande pour le peu spéciale… Dessiner une vulve. Sans apparaître dans le champ, elle lui passe donc les objets nécessaires à la réalisation du fameux dessin (feuilles, stylo). C’est alors que début le générique de début, sur fond de musique rock, avec un enchainement de plans très brefs issus d’extraits de films ou d’images d’archives d’événements féministes militants (Pussy Riot, Femen). L’épisode se poursuit par une rapide présentation des deux protagonistes que l’on aperçoit lors de mobilisations organisées par les Femen. 

En effectuant une sorte de micro-trottoir à divers endroits, Sarah et Elvire demandent à des passants de dessiner, une fois encore, une vulve. Et lorsque l’une des personnes se met à l’oeuvre, elle prononce dans le même temps le nom du célèbre tableau de Courbet, L’origine du monde, qui s’affiche alors dans le champ, appuyé par un zoom très lent qui accompagne un commentaire sonore réalisé par une voix off masculine. Les deux militantes nous transportent alors au musée d’Orsay où elles font face à la fameuse toile et la commente. Quelques minutes plus tard, elles se retrouvent en compagnie d’adolescents qui eux aussi, semblent avoir leur mot à dire à propos de ce tableau. 

Cette toile a, depuis sa création, suscitée bon nombre de controverses ; et ce fut encore le cas dernièrement puisqu’elle a été censurée par l’algorithme de Facebook. C’est ce que nous apprenons grâce à l’extrait d’une vidéo tournée dans les locaux de France Inter lors d’une chronique réalisée par Léa Salamé en présence du  directeur général de Facebook. Puis à l’aide d’images animées, les spectateurs peuvent approfondir leurs connaissances de L’origine du monde, qui n’est autre que le premier tableau (du monde occidental) à représenter un sexe de femme. La voix off poursuit ensuite sa petite histoire du sexe féminin, toujours grâce à l’animation.

Ancrant encore un peu plus leur websérie dans le documentaire qui, rappelons-le, sert à rapporter des faits liés à une problématique, en décortiquant et analysant les sujets (authentiques) qui l’entourent, les jeunes femmes se rendent chez un chirurgien esthétique afin d’en apprendre plus sur les interventions qu’il réalise sur le sexe féminin. Sarah et Elvire font face au Dr Abécassis dans son bureau, et l’entretien est filmé en champ contre-champ. Ce type de plan sera réutilisé plus tard lorsqu’elles rendront visite à la direction de la Dorcel Productions. L’extrait d’un morceau de musique scandant « Pussy ! Pussy ! » (on vous laisse le soin d’en chercher la traduction) rythme toute la vidéo, façon humoristique de nous en rappeler le thème.

Peu avant la fin de ce premier épisode, les jeunes femmes regagnent un appartement. L’une d’entre elle, Sarah, place la caméra de sorte que le champ soit encadré par ses deux jambes qu’elle a écarté en attendant l’arrivée d’Elvire, afin que cette dernière lui donne un avis plastique concernant son sexe. Cette scène n’est pas sans rappeler les propos échangés plus tôt avec le chirurgien et le directeur de Dorcel.

La vidéo se clôture enfin en dévoilant quelques éléments à propos des épisodes suivants, et sur ce que les deux activistes espèrent trouver durant leur roadtrip initiatique. Des photographies, représentants certainement les personnes qu’elles rencontreront, s’affichent les unes après les autres pendant qu’elles en parlent. 

Finalement, Sarah Constantin et Elvire Duvelle-Charles rappellent l’essence même du projet Clit Révolution, « la communauté badass et joyeuse » : l’empowerment de la femme. Générique.

« Alors, t’as joui ? »

MASHUP

Exclusivement destiné à la femme contemporaine, Cosmopolitan traite, depuis sa création à la fin du 19ème siècle aux Etats-Unis, de thématiques dites féminines, en mêlant humour, psychologie et tendances. Déjà édité aux quatre coins du monde, le magazine diversifie son offre dès 2008, en publiant régulièrement du contenu audiovisuel sur son site internet, sur les réseaux sociaux et sur les plateformes vidéo tel que Youtube. 

Source de nombreux mythes, l’orgasme féminin est l’un des sujets phares abordés dans le magazine qui lui consacrent un grand nombres d’articles afin, entre autre, de briser le tabou qui l’entoure. En adoptant un ton plus léger, la vidéo Orgasm scene mash up, qui comptabilise plus de deux millions de vues, met en scène le fameux orgasme féminin dans une compilation de clips vidéos qui dure un peu moins de 2 minutes. 

Intrinsèquement lié à la culture Internet et à ses usages, le mashup (littéralement, faire de la purée) consiste à créer une oeuvre originale à partir d’extraits préexistants. Il s’agit ici d’extraits de films et de séries télévisées américains qu’on ne présente plus, tel que Friends qui ouvre la vidéo. On peut y voir Monica, interprétée par Courteney Cox, décrire les zones érogènes de la femme. Ce court extrait d’épisode s’enchaîne sur le suivant grâce au procédé du cross-fade ou fondu enchaîné sonore, qui est ici un air opéra. 

Le spectateur fait alors face à l’une des protagonistes de la série télévisée américaine à succès Sex and the City, qui s’adonne à un petit plaisir solitaire. Un travelling vertical arrière est utilisé afin d’amplifier le sentiment d’extase de l’actrice. Cette courte séquence – elle ne dure qu’une dizaine de secondes – est suivi d’une autre provenant de la comédie Bruce tout puissant. On peut y voir Jim Carrey doté de dons divins, provoquer à distance un orgasme à sa partenaire dans le film, Jennifer Aniston. La séquence est filmée en champ, contre champ, ce qui intensifie l’aspect surréaliste de la scène. Et l’orgasme surjoué à outrance lui confère un aspect des plus comiques. 

Jim Carrey dans Bruce Tout Puissant.

L’avant-dernier extrait de ce mashup nous vient tout droit de When Harry Met Sally, une comédie romantique des années 90. Meg Ryan, la protagoniste, se trouve dans un restaurant accompagnée de Billy Crystal. L’actrice se met à simuler un orgasme, alors même qu’ils sont entourés de nombreuses personnes, afin de prouver qu’il n’est pas si aisé de reconnaître une femme qui ne jouit pas réellement. Cet extrait semble faire écho aux nombreux sondages que l’on retrouve dans le magazine concernant les femmes qui simulent la jouissance pour diverses raisons. Meg et Billy sont d’abord filmés en plan rapprochés poitrine, avant que la caméra ne vienne s’attarder sur les visages quelque peu ébahis des personnes présentes dans le restaurant. 

Finalement, le mashup se clôt sur une séquence de quelques secondes issue de la comédie américaine American Pie, et qui met en scène les préliminaires entre deux jeunes gens. Toute la drôlerie de ce clip vidéo repose sur le fait que celui qui semble être le père de la jeune femme s’apprête à entrer dans la pièce où les deux amants se trouvent, avant de faire demi-tour sans marquer d’arrêt lorsqu’il entend sa fille prendre du plaisir.

Art du recyclage, le mashup parvient à créer du sens en agençant des images issues de  différentes sources et met ainsi en valeur le fait que les images sont profondément polysémiques. En effet, ce qui semble être une simple compilation destinée à susciter le rire chez les spectateurs, nous laisse pourtant dubitatifs. Extrait après extrait, une question ne cesse de nous revenir en tête : les fictions hollywoodiennes sont-elles réellement capables de dépeindre l’orgasme féminin ? 

Le féminisme, tout le monde s’en fout ?

VIDEO EDUCATIVE

On ne cesse de le répéter, le rapport aux médias et aux images s’est transformé avec l’évolution d’Internet. La création et la consommation de vidéos est l’une des caractéristiques importantes de ce nouveau rapport, qui marque dans le même temps l’apparition du phénomène des youtubers, ces personnes qui investissent les plateformes de vidéos pour produire et diffuser leurs séquences.

Certaines de ces vidéos ont une visée éducative et consistent à enseigner ou transmettre des savoirs sur divers sujets, dans un format souvent court, et tout en faisant preuve d’humour. La vidéo, en plus d’être un support de communication et d’expression, devient alors un support d’apprentissage attractif car plus dynamique et visuel qu’un livre. 

Et tout le monde s’en fout, la web série diffusée créée par Fabrice de Boni et Axel Lattuada, s’inscrit dans ce mouvement. Elle apparaît sur le site Youtube en janvier 2017 et traite depuis d’un sujet différent par épisode. Bien qu’une grande part de ces vidéos soient fictionnelles, elles permettent à ses créateurs de partager leurs réflexions sur de grands sujets sociétaux, non sans une once d’humour et d’engagement, toujours dans le but de vulgariser des sujets d’actualité et de sensibiliser les spectateurs.

Fabrice de Boni co-présidant une association féministe (Les chahuteuses – pour une sexualité joyeuse !), c’est tout naturellement que certaines vidéos sont consacrées à des sujets touchant les femmes. C’est le cas de la vidéo dont nous traitons aujourd’hui.  Le féminisme est introduit par un élément textuel qui indique qu’il a été créé avec le soutien du Centre national du cinéma et de l’image animée. Le morceau Burn the world (Jérôme Rebotier et Pascale Salkin) débute ensuite, en même temps qu’apparaît le générique de la web série. On retrouve alors Axel Lattuada et Solveig Anrep dans un espace clos, dont la décoration a été traitée avec soin. Les deux personnages s’alternent ou font ensemble face à la caméra, tantôt en gros plan sur leurs visages, tantôt assis dans un plan poitrine ou debout en arrière plan, dans un montage rapide qui apporte du dynamisme à la vidéo. Tout en jouant divers rôles marqués par des changements fréquents de costumes, Axel et Solveig fournissent de précieuses informations sur l’histoire du féminisme et la théorie des genres, le tout dans des dialogues empreints d’humour et de sarcasme. Par moments, ils font mine de lire des commentaires provenant de l’extérieur en soulignant ces séquences par l’usage d’un son intradiégétique ressemblant à une alerte sonore. L’épisode semble finalement s’achever sur un générique accompagné du morceaux The world is mine (Jérôme Rebotier et Pascale Salkin) où apparaît le nom de chacun des participants à la confection de la vidéo. Mais c’est sans compter sur la réapparition d’Axel Lattuada dans une dernière séquence humoristique. 

En à peine 5 minutes et en adoptant une approche parfois philosophique, Fabrice de Boni et Axel Lattuada entendent pousser leurs spectateurs à la remise en question. Le travail en amont semble considérable puisque les deux hommes passent de très longues heures à se documenter sur un sujet avant d’en faire une vidéo. L’équipe prend aussi le temps d’indiquer chacune de ses sources, afin de permettre aux spectateurs de poursuivre leur sensibilisation au sujet passionnant qu’est le féminisme.

Qu’est ce que l’afroféminisme ?

VIDEO MILITANTE

Ces dernières années, la plateforme vidéo Youtube a vu émerger une nouvelle forme de mobilisation en ligne. ‪Sous forme de vidéo, de plus en plus de militants enregistrent leurs récits d’expériences afin de les publier et de les rendre accessibles au plus grand nombre.‪ Ainsi, en donnant l’impression d’une conversation entre proches, la vidéo militante peut permettre de transmettre du savoir et d’éduquer, notamment en contextualisant des sujets d’actualités ; et peut même, dans certains cas, devenir un outil de lutte. De nombreuses féministes se sont donc emparées de ce nouveau média pour questionner les problématiques sociétales qui les concernent.

Naya Ali est l’une d’entre elles. Ancienne rédactrice en chef de Noir et Fier –  plateforme d’échange et de réflexion sur le quotidien de la communauté noire – la jeune journaliste a d’abord commencé à tourner de courtes vidéos de critiques de séries. Elle met ensuite ses compétences médiatiques au service de sujets ayant une dimension plus politique : l’appropriation culturelle et l’afroféminisme. 

En se plaçant en héritière des combats d’Angela Davis, Naya Ali tente de lutter contre le manque d’intégration des questions raciales dans les débats féministes. L’afroféminisme est donc un féminisme intersectionnel, qui met en avant le fait de subir plusieurs formes d’oppression à la fois. Il ne s’agit ainsi pas de rejeter le féminisme classique, mais de proposer de nouveaux modèles auprès desquels les femmes noires, très peu présentes dans les médias, pourront enfin s’identifier. 

Dans une vidéo publiée sur Youtube il y a trois ans, Naya Ali, très pédagogue, tente en une dizaine de minutes, d’expliquer les concepts d’afroféminisme et d’intersectionnalité (c’est d’ailleurs le titre de la vidéo). Pour commencer, la jeune femme, filmée en plan rapproché poitrine, utilise un fond vert afin d’apparaître au milieu d’un paysage montagneux. Elle s’adresse à une voix off qui semble artificielle, et un dialogue s’instaure entre les deux, ce qui permet de faire usage de l’humour pour introduire le sujet de la vidéo, sans le définir directement. Soudain, un son d’alerte résonne et le logo de l’émission, Kesak’oh, ainsi que le titre de la vidéo apparaissent dans le cadre. On retrouve ensuite la journaliste dans le même paysage montagneux, mais la voix off n’est plus la même. Il s’agit désormais de celle d’un homme, dont le rôle reste inchangé : échanger des répliques empreintes d’humour avec Naya Ali, afin de définir les différents thèmes de la vidéo. Ces thèmes apparaissent d’ailleurs sur la gauche du cadre sous forme de texte, avant d’être illustrés par des extraits de vidéos, titrés et datés, issus de médias diverses.

Survient enfin un changement de décor : la jeune femme nous fait toujours face, mais dans un nouveau lieu qui pourrait être son domicile. Le travail de narration est visible : la voix off pose des questions ou relance le débat en feignant la naïveté, afin que Naya Li puisse décrire les différents aspects de l’afroféminisme et mener une réflexion sur la condition des femmes noires. Ses propos sont toujours illustrés à l’aide d’extraits de dessins animés,  d’émissions, de séries ou encore de films de différentes époques. Le son des extraits de vidéos est coupé afin que le spectateur puisse entendre clairement les dires de la journaliste (à part lorsqu’il s’agit du débat politique qui oppose Ségolène Royale à Nicolas Sarkozy). 

Finalement, la vidéo s’achève sur un générique animé qui propose aux internautes de s’abonner à la chaîne Youtube, puis le nom des personnes ayant participé à la conception de la vidéo se succèdent, rythmé par un fond sonore. 

L’afroféminisme est hérité du Black feminism nord américain. Il est né à peu près à la même période, dans les années 70, mais cette appellation est médiatisée seulement depuis peu. Nul doute que les réseaux sociaux ont permis aux femmes issues de ce mouvement d’affirmer leur identité et de faire entendre leur voix, afin de lutter contre l’invisibilisation et l’image stéréotypée parfois véhiculée par les médias de la femme noire. 

« Le violeur, c’est toi » : nouvel hymne féministe tout droit venu du Chili

VIDEO VIRALE

Nous sommes au Chili, le 25 novembre 2019, journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Le collectif féministe Las Tesis, formé par quatre activistes chiliennes de Valparaíso est déterminé à dénoncer les violences systémiques, sexistes et sexuelles dont les femmes sont victimes depuis le début de la répression du mouvement social qui bouleverse le pays. Les militantes, accompagnées des centaines de femmes ayant répondu à leur appel, se sont regroupées à Santiago (Chili) le temps de la performance artistique « Un violador en tu camino » (Un violeur sur ton chemin), qui s’inscrit dans le cadre d’un spectacle féministe plus large. L’happening a été filmé, partagé et vu plusieurs millions de fois, bien qu’il ne soit pas aisé de connaître les nombres exacts, puisque la restitution de l’événement a été publié par de nombreux spectateurs. 

L’une des vidéos a été réalisée par le collectif Registro Callejero, composé d’artistes et de travailleurs culturels qui entendent rendre publics différents événements chiliens. Elle a ensuite été publiée sur la plateforme Youtube et a rapidement atteint près d’un million de vues.

La vidéo débute sur le logo du collectif « Colectivo Registro Callejero » qui apparaît de façon animée. Puis un texte en espagnol, sans fioriture, sur fond noir, nous donne des repères sur ce que nous nous apprêtons à regarder. Un premier plan d’ensemble fait surgir des femmes filmées de dos, se dirigeant toutes dans la même direction. Rapidement, les femmes nous font face, lors de différents plans rapprochés. Elles sont vêtues de tenues de soirée scintillantes, les yeux bandés par un foulard noir et sont alignées comme lors d’un cortège militaire. Un court plan sur les spectateurs, qui sont pour la plupart en train de filmer la scène, et la performance commence. Le montage est haché, rapide et la caméra est en constant mouvement, comme pour nous signifier l’urgence de la situation sociopolitique chilienne. Des plans américains et rapprochés se succèdent et on comprend que l’happening a eu lieu en même temps dans différents endroits de la ville. « El violador eres tu » (Le violeur c’est toi) est le chant de ralliement qui résonne dans les rues de Santiago, et qui permet de faire un raccord son entre tous les plans (aidé par la musique intradiégétique). La fin de la performance est marquée par les cris et les applaudissements de la foule dans un plan d’ensemble, puis les femmes avancent vers la caméra pour s’en aller. Le cadre s’assombrit enfin sur quelques éléments textuels qui rappellent le contexte de la vidéo, quand soudainement, un mouvement de foule surgit à nouveau à l’écran. Et les mouvements de caméra à l’épaule nous donne immédiatement l’impression d’être au milieu de la confrontation qui oppose les policiers aux militantes. Enfin, la vidéo s’achève définitivement sur le même générique que celui du début.

Le collectif lancera par la suite un appel mondial à interpréter la chanson et sera entendu par des femmes du monde entier (Paris, Sydney, Vancouver, Londres, Istanbul, etc.). 

Née de la culture du partage sur les réseaux sociaux, la vidéo virale se diffuse rapidement, d’abord de proche en proche, avant de toucher un vaste public. Son succès est par essence imprévisible, mais certains aspects d’une vidéo peuvent jouer un rôle décisif dans l’ampleur qu’aura sa diffusion. L’humour par exemple, est l’une des premières causes de viralité ; mais ici, l’émotion que suscite la vidéo, couplé au nouvel élan féministe auquel nous assistons, explique qu’elle ait été partagée si massivement.

« On ne naît pas femme, on le devient. »

JOURNALISME

Avec l’avènement de l’ère du numérique, les moyens d’accès à l’information et aux connaissances se sont transformés, et bon nombre de personnes privilégient désormais les contenus audiovisuels. Le journalisme ne déroge pas à cette tendance et produit de nouveaux formats de vidéos, souvent de courte durée et adaptés à la diffusion sur les réseaux sociaux. Cette nouvelle forme de journalisme, moins institutionnelle, attise la curiosité des internautes qui sont ensuite libres de s’informer plus en profondeur. 

C’est dans cette démarche que s’inscrit la collaboration des six entreprises de l’audiovisuel public français (France Télévisions, l’Institut national de l’audiovisuel (INA), Arte France, entre autres) pour créer Culture Prime, le « premier média social culturel de l’audiovisuel public français ». Ce média propose des vidéos culturelles que l’on peut découvrir quotidiennement sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter, ou encore sur la plateforme vidéo Youtube. Cette publication croisée permet de favoriser l’accès à la culture au plus grand nombre, notamment aux jeunes, puisque les différentes entreprises totalisent près de 80 millions d’abonnés sur Facebook et pas moins de 35 sur Twitter. 

Un logo est affiché en haut à droite du cadre de la vidéo afin de préciser l’identité du partenaire lors du visionnage. Il s’agit ici de l’INA (Institut National de l’Audiovisuel), établissement public qui contribue à conserver et à archiver les productions audiovisuelles françaises dans une volonté de développement et de transmission des savoirs. 

« Le Deuxième Sexe, 70 ans de féminisme », est diffusée en mai 2019 à l’occasion de l’anniversaire de la sortie du livre de la figure emblématique du féminisme, Simon de Beauvoir. Culture Prime nous propose donc, à l’aide d’images d’archives, de nous replonger au coeur de cette oeuvre fondatrice. L’articulation narrative de la vidéo est efficace. Elle débute par un extrait d’entretien de l’écrivaine, filmée en gros plan sur son visage, réalisé en 1984, et qui apparaîtra à nouveau quelques secondes plus tard. Le logo de Culture Prime s’affiche ensuite rapidement sur ce qui semble être une image d’archives de Simone de Beauvoir en train d’écrire. Par la suite, la vidéo nous donnera à voir des restitutions d’événements politiques et sociaux, notamment par le biais d’images de manifestations passées, appuyées par du texte qui présente, cadre et explique le contexte historique. Le montage est rapide, dynamique, efficace, et accompagné d’une bande sonore qui joue inlassablement 5 notes à un rythme rapide. Trois autres entretiens d’auteures et de militantes féministes, tournés aussi en 1984 ou quelques années plus tard, seront aussi présentés afin de décrire la réception du livre au moment de sa première parution, les polémiques qu’il a engendré, son impact sur la société de l’époque, mais aussi l’influence et la portée qu’auront les mots de l’auteure sur notre société contemporaine. Prenons l’exemple de l’extrait d’interview d’Anne Zelensky, militante féministe ; elle aussi est filmée en gros plan, accompagné d’éléments textuels qui indiquent son nom et sa profession. La courte vidéo s’achève finalement par un bref générique où apparaît à nouveau le logo du média, ainsi que le nom des journalistes et de la personne en charge du montage. 

En moins de trois minutes, Culture Prime parvient à fournir des clefs pour mieux cerner un sujet toujours d’actualité, celui de la condition féminine. Les images d’archives sont sélectionnées avec pertinence et mettent en lumière le texte pionnier de Simone de Beauvoir.