Nous sommes au Chili, le 25 novembre 2019, journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Le collectif féministe Las Tesis, formé par quatre activistes chiliennes de Valparaíso est déterminé à dénoncer les violences systémiques, sexistes et sexuelles dont les femmes sont victimes depuis le début de la répression du mouvement social qui bouleverse le pays. Les militantes, accompagnées des centaines de femmes ayant répondu à leur appel, se sont regroupées à Santiago (Chili) le temps de la performance artistique « Un violador en tu camino » (Un violeur sur ton chemin), qui s’inscrit dans le cadre d’un spectacle féministe plus large. L’happening a été filmé, partagé et vu plusieurs millions de fois, bien qu’il ne soit pas aisé de connaître les nombres exacts, puisque la restitution de l’événement a été publié par de nombreux spectateurs.
L’une des vidéos a été réalisée par le collectif Registro Callejero, composé d’artistes et de travailleurs culturels qui entendent rendre publics différents événements chiliens. Elle a ensuite été publiée sur la plateforme Youtube et a rapidement atteint près d’un million de vues.
La vidéo débute sur le logo du collectif « Colectivo Registro Callejero » qui apparaît de façon animée. Puis un texte en espagnol, sans fioriture, sur fond noir, nous donne des repères sur ce que nous nous apprêtons à regarder. Un premier plan d’ensemble fait surgir des femmes filmées de dos, se dirigeant toutes dans la même direction. Rapidement, les femmes nous font face, lors de différents plans rapprochés. Elles sont vêtues de tenues de soirée scintillantes, les yeux bandés par un foulard noir et sont alignées comme lors d’un cortège militaire. Un court plan sur les spectateurs, qui sont pour la plupart en train de filmer la scène, et la performance commence. Le montage est haché, rapide et la caméra est en constant mouvement, comme pour nous signifier l’urgence de la situation sociopolitique chilienne. Des plans américains et rapprochés se succèdent et on comprend que l’happening a eu lieu en même temps dans différents endroits de la ville. « El violador eres tu » (Le violeur c’est toi) est le chant de ralliement qui résonne dans les rues de Santiago, et qui permet de faire un raccord son entre tous les plans (aidé par la musique intradiégétique). La fin de la performance est marquée par les cris et les applaudissements de la foule dans un plan d’ensemble, puis les femmes avancent vers la caméra pour s’en aller. Le cadre s’assombrit enfin sur quelques éléments textuels qui rappellent le contexte de la vidéo, quand soudainement, un mouvement de foule surgit à nouveau à l’écran. Et les mouvements de caméra à l’épaule nous donne immédiatement l’impression d’être au milieu de la confrontation qui oppose les policiers aux militantes. Enfin, la vidéo s’achève définitivement sur le même générique que celui du début.
Le collectif lancera par la suite un appel mondial à interpréter la chanson et sera entendu par des femmes du monde entier (Paris, Sydney, Vancouver, Londres, Istanbul, etc.).
Née de la culture du partage sur les réseaux sociaux, la vidéo virale se diffuse rapidement, d’abord de proche en proche, avant de toucher un vaste public. Son succès est par essence imprévisible, mais certains aspects d’une vidéo peuvent jouer un rôle décisif dans l’ampleur qu’aura sa diffusion. L’humour par exemple, est l’une des premières causes de viralité ; mais ici, l’émotion que suscite la vidéo, couplé au nouvel élan féministe auquel nous assistons, explique qu’elle ait été partagée si massivement.